jeudi 9 septembre 2010

Lundi 2 août

Lynn et Cathie, qui sont en contact avec pas mal de communautés indigènes, me proposent de les accompagner à un temascal, ou sweat lodge en anglais. Il s'agit de cette cérémonie de purification où tout le monde s'assoit sous un temascal, sorte de tente avec une armature de bois en hémisphère sur laquelle on dispose des couvertures. Au centre du temascal, il y a un trou dans lequel on dépose des abuelitas, qui sont des pierres volcaniques chauffées, dégageant une forte chaleur. Le guide de la cérémonie ferme alors la porte, et verse de l'eau avec de la sauge et des baies fraiches sur les pierres. Le but est de transpirer, pour se purifier le corps et l'esprit. Je dis à Lynn que je doute de mes capacités à supporter une telle chaleur, mais il me rassure : il n'y a généralement pas de problème avec les gens en bonne santé, et ce sera surement ma seule chance de prendre part à un temascal. Bon, alors c'est parti !
Le temascal a lieu dans un canyon près de l'océan et de Rosarito, en pleine nature, au pied d'un grand arbre et au milieu des cactus. Le paysage est magnifique et je resterais bien ici à l'admirer au lieu de rentrer dans le temascal, finalement. Je me rends vite compte que sur la petite dizaine que nous sommes, seulement deux sont de descendance indigène : Sergio, dont le père était quechua et la mère mapuche, et Francisco, qui est le dernier de sa tribu. Le reste de l'assemblée me fait l'effet d'une bande de fanatiques bobos venus se ressourcer à la mode indigène. Préparer le temascal prend une éternité. Les femmes doivent porter une jupe – grande concession pour moi – et ne peuvent prendre part à la cérémonie si elles ont leurs règles. Je passe sur la préparation, le chauffage des abuelitas, les offrandes de fruits venus du Calimax, la préparation des eaux avec de la sauge et des baies, le « cordon ombilical » qui relie le feu au temascal et qu'il ne faut pas traverser, ce que s'empresse de faire la femme de Sergio. Nous rentrons.
Il fait noir à l'intérieur. Je prends place tout au fond, face à la porte. Sergio, qui va guider la cérémonie, nous régale d'anecdotes sur sa famille quechua en guise d'introduction. Puis, on apporte les abuelitas, rouges et grésillantes, et nous chantons, jouons du tambour et des maracas pour leur souhaiter la bienvenue. Francisco est à-côté de moi et chante magnifiquement dans sa langue. « Bienvenida, bienvenida, abuelita de la antigüedad, bienvenida, bienvenida, mensajera del amor... » Il fait déjà très chaud sous cette coupole imperméable. On ferme. Il fait noir comme dans un four, c'est le cas de le dire. Angoissant. Pas une seule source de lumière, si ce n'est les abuelitas qui rougeoient en attendant l'eau. Sergio verse les medicinas. Fshhhhhh. Bouffées de vapeur brûlante qui t'attaquent le visage; t'imprègnent de sauge, t'envahissent dès que tu tentes de respirer. Je me calme tant bien que mal, respire à travers mon brin de sauge. « Permiso para cantar », demande Francisco, et il chante divinement, dans le noir, dans la vapeur et la promiscuité. Je suis déjà plus que trempée, pleine de sueur et d'eau. Aucune idée de combien de degrés il doit faire là-dedans. Ça me fait l'effet de Mexicali dans un temascal, mais plus humide et encore plus chaud – interminable. Sergio rajoute de l'eau. Un calvaire. Finalement, il crie : « puerta ! » Ouf. De l'air frais.
S'ensuivent trois autres portes, tout aussi cauchemardesques, où l'on rajoute cinq abuelitas à chaque fois, et un seau d'eau. Je ne vois pas comment on est censé pouvoir méditer dans une telle fournaise. Mon cerveau est vide comme une vieille éponge, on doit confondre ici méditation et délire. Je me fais violence pour supporter les quatre portes. Et enfin : Puerta ! L'air froid, essuyer la couche d'herbes, de condensation et de sueur qui recouvre la peau et trempe les vêtements. Se reposer. S'approcher doucement de la porte. Dehors, ça caille. Je sors, et le mal de tête m'assomme comme un coup de matraque dans la nuque. Ça cogne, ça palpite, j'ai mal. Sergio me dit que j'étais dans l'endroit le plus chaud du temascal, celui réservé aux guerriers – j'aurais bien aimé être prévenue. Il m'offre deux plumes de faucon, « for protection ». Le mal de tête résiste à l'eau et à l'ibuprofène, et il me poursuivra un bon moment. Plus jamais ça.
Avec tout le respect que je dois à toutes les populations indigènes, j'ai du mal à prendre au sérieux une religion qui dit qu'il faut aimer et respecter les animaux, les plantes et les pierres. Mon problème, avec toutes les religions en somme, c'est que l'adoration me gêne vraiment. Mais bon. Je garde les plumes quand même.

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