dimanche 12 septembre 2010

Jeudi 5 août

Je me lève tôt, prépare le petit déjeuner pour tout le monde - oeufs et frijoles - , fais mes adieux à Don Berna et Doña Hilda, leur offre à chacun une petite peinture de la Casa, dis au revoir à Brenda, empoigne mon sac à dos et rejoins Julio qui est venu me chercher. On s'arrête manger une quesadilla – juste pour goûter. Curieusement, quitter la Casa n'est pas si triste, peut-être parce que j'ai la perspective de passer une chouette journée avec Julio, et que je suis sure d'y revenir un jour. Nous retournons joyeusement au canal, au son de Should I stay or should I go, de Clash. C'est tellement en contexte.
Nous traversons de nouveau la trois-voies, en sortons encore miraculeusement indemnes. Chiquita, la petite chienne-serpillère, aboie et remue la queue en nous voyant arriver : elle nous a reconnus. Les compagnons qui vivent ici ont trouvé un collier de femme en plastique blanc et argenté, et lui ont mis autour du cou. Pas peu fière, la Chiquita. Le petit chat est là aussi, et vient se vautrer entre mes jambes, fidèle aux habitudes, là où il y a de l'ombre.
Santos est content de nous revoir, et pour moi aussi c'est un grand plaisir de pouvoir revenir prendre de ses nouvelles. Il n'y a plus de travail pour lui dans le restaurant où il faisait la plonge, alors il va partir à Valle de Guadalupe pour voir si on a besoin de bras pour les vendanges. Un nouvel arrivant va l'accompagner, il dit qu'il est un ancien pratiquant de la lucha libre, son nom de scène, c'est Dragon Rojo.
Je vais un peu plus loin pour faire un dessin du canal. La lumière est splendide, elle donne une magnifique ambiance de fraicheur et de propreté en faisant jouer les reflets bleus de l'eau stagnante. Quand je le montre à Julio, ses yeux brillent et il me dit : « me gusta mucho », tout doucement, avec un sourire ému. Le luchador me fait un dessin au stylo bic sur un bout de carton : deux palmiers, une rose géante, une croix qui rayonne, des oiseaux. Nous prenons congé. C'était tellement bon de retourner au canal. Exactement ce dont j'avais besoin.
Et puis il est temps de partir. Julio m'accompagne jusqu'à la frontière. Enorme abrazo. Me voilà seule.
Passeport en main, complètement perdue, je marche vers les États-Unis. Je quitte Tijuana, ses migrants, passeport en règle à la main. Traitresse.
Le douanier examine mon passeport et commence à me parler de son expérience dans l'armée française, d'un air guilleret. Il ne sait pas ce que ça signifie pour moi, de passer la frontière. Je suis en miettes.
Me voilà de l'autre côté. Tout ce qui suit est insignifiant. Le tramway rouge qui m'éloigne de Tijuana, l'anglais qui s'impose petit à petit, la propreté aussi, quel ennui, et personne pour croiser mon regard ou répondre à mes sourires, et le chauffeur de bus qui se fiche royalement de savoir que je n'ai pas de monnaie pour acheter mon ticket et qui m'envoie balader en mâchant ses mots. Arriver en retard chez Chip, le couchsurfeur qui doit m'héberger, et ne pas m'entendre spécialement bien avec lui. Réaliser que les conversations du type : « où as-tu vécu, où es-tu allé et qu'est-ce que tu écoutes comme musique » ne m'intéressent plus.
J'ai avec Chip une courte conversation qui me fout en l'air. Chip qui dit que l'on a fait beaucoup trop de cas de la loi sur l'immigration clandestine en Arizona, qui ne voit pas pourquoi des Mexicains pourraient venir vivre aux Etats-Unis si lui ne peut pas aller vivre où il veut, qui râle parce que les Mexicains essaient de passer pour gagner plus d'argent, et qui ajoute que de toute façon, aucun pays ne peut complètement ouvrir ses portes, et qu'il serait temps que les candidats à l'immigration réalisent cela.
Malheureusement, si c'est ce qu'il attendait de moi, je n'ai pas trouvé de solution toute prête – micro-ondable au problème de l'immigration clandestine. Mais un peu de respect pour ceux qui prennent ces énormes risques ne serait pas de trop, surtout de la part de celui qui a une maison à trois étages et un home cinéma du bon côté de la frontière. Je crois qu'il va me falloir préparer de solides argumentaires illustrés pour défendre ça, là-bas en France.

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