mercredi 1 septembre 2010

Dimanche 25 juillet

Tijuana, c'est un peu ma soupape, la perspective qui m'a permis de ne pas littéralement exploser pendant cette année. Et être ici, c'est avoir tout le loisir de réunir ce que j'aime le plus au monde : dessiner, rencontrer, et parler des langues étrangères. Je me sens beaucoup plus active dans ce deuxième voyage que dans le premier. Je viens de réaliser qu'il me restait environ dix jours pour conclure cette étude. Et ça fait un bail que je me dis que je viens d'arriver, et qu'il faut que je la commence.
Hier, j'ai pu rentrer doucement dans le monde de la maquiladora. Nous sommes allés à une rencontre du collectif Ollin Calli. Lynn m'a réveillée tôt, nous avons sauté dans la voiture, encore avec mon thé dans les mains, pour aller chercher une famille de cinq -hop, tous entassés sur la banquette arrière. Jorge, le fils, a une douzaine d'années et adore l'école, surtout l'Histoire, ainsi peut-il expliquer qui est chacun des hommes dont les rues portent le nom. Nous arrivons à la maison de Tonia, une des membres du collectif. Franches embrassades, éclats de rire, on déballe tous les petits plats et les tortillas à partager, et s'ensuit une interminable discussion dans la cour, autour d'une table, au milieu du bruit des chiens, des oiseaux qui piaillent, des vendeurs de fromage qui passent dans la rue, des avions qui rugissent au-dessus de nos têtes pour le plus grand émerveillement des enfants, car l'aéroport n'est pas loin d'ici. Certaines des femmes partagent leur expérience de la maquila. Ces choses, je les connais, mais c'est tout différent lorsqu'une femme qui l'a vécu et qui continue à le vivre au quotidien le raconte en face de moi, en trois dimensions et en stéréo, mieux qu'au cinéma. Je demande à l'une d'entre-elles si elle accepterait que je la dessine et qu'elle me raconte la maquila, et elle me dit qu'elle ne peut pas figurer en portrait. Elle n'a pas le droit de parler de l'entreprise en son nom. Sur le coup, je suis tellement abasourdie que je ne lui réponds pas.
[...]
Le lendemain, avec Lynn, nous allons au sobreruedas, ambiance de fou, j'adore les marchés. On mange une sorte de consommé aux tables collectives en plastok', où tu pioches dans les herbes et les oignons à portée de main. J'achète deux-trois trucs à Ollin Calli qui a son petit stand sur le marché. Puis, je vais à la Casa – Don Berna et Doña Hilda me manquaient trop. Je leur demande si je peux rester travailler un peu ici - « Aqui esta tu casa », tu es ici chez toi, me dit Doña Hilda, et c'est exactement ainsi que je la considère maintenant, cette Casa. Dans l'après-midi arrive un homme, allure de migrant repérable à deux cents mètres, qui vient demander quelques infos. Et puis, il s'assoit, et nous raconte son histoire incroyable. Je fais son portrait en clando, en tâchant d'en comprendre et retenir le plus possible.
Le soir, je prends le bus jusqu'à Playas seule pour la première fois. Drôle de sensation. Lynn me montre des albums de famille, mélange de grands oncles communistes chefs de syndicat, de maisons perdues au milieu de nulle part, d'enfants qui partent pour un semestre au Guatemala, de toreros, de parents peintres, de cousins en tracteur, de procès gagnés... Il me propose de les accompagner, Cathie et lui, dans la communauté Kumeeyai avec laquelle ils travaillent, et j'en meurs d'envie.

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