vendredi 20 août 2010

Vendredi 9 juillet

Quand nous rentrons, deux mineurs sont arrivés à la Casa. L'un d'eux part très vite, accompagné par son oncle. Le deuxième porte un chapelet, des bagues en toc, a l'air agressif et impatient, harcèle Brenda pour passer un appel aux USA. Il finit par partir spontanément. Brenda me dit que c'est un coyote, il arrive qu'ils soient déportés et profitent de leur séjour à la Casa pour se faire une clientèle parmi les autres mineurs.
Dans la soirée, Don Berna, Mayte et moi allons au centre commercial acheter des croquettes pour la chienne de Don Berna. C'est la première fois que je vais dans un Wal Mart. Il est situé au carrefour des grandes routes périphériques de la ville, véritable temple de la consommation, accessible uniquement en voiture, les commerces sont organisés autour d'un bassin en toc avec des poissons et des colonnades en plâtre. Tout est écrit en espagnol et en anglais, les gens déambulent lentement, appuyés à leurs caddies, des vigiles avec gilets pare-balles et armés de matraques barrent les entrées, un taxi libre attend le client. Don Berna choisit très soigneusement un énorme sac de croquettes pour sa petite chienne, puis nous partons poser ses courses chez lui.
Don Berna vit dans une colonia éloignée du centre, dont la plupart des routes ne sont pas recouvertes. On roule tout doucement sur les routes parsemées d'énormes galets, nous longeons des maisons faites de tout et de rien, murs de jardins constitués de piles de cagettes en bois, toits de tôle, peu de maisons en dur, quelques tortillerias de bord de route autour desquelles se pressent les voisins gourmands. La nuit tombe doucement. Quelques petits magasins qui vendent de tout, visions furtives de doñas qui s'ennuient derrière leurs grilles, à la lumière des néons, reflétée par la fluorescence des emballages de friandises.
La petite maison de Don Berna est en dur, juchée en haut d'un très grand escalier de bois. Alors que Mayte et moi nous agrippons à la rampe branlante pour escalader les marches penchées, Don Berna monte rapidement son sac de vingt kilos de croquettes, un garrafón, un deuxième. La maison comporte deux pièces, les murs sont de parpaings nus, le sol de béton poreux. Une petite gazinière dans un coin, un fil à linge qui traverse la pièce, un incroyable amoncellement d'objets hétéroclites, une table ovale renversée sur un canapé sale, et puis une petite cage suspendue au mur, recouverte d'une serviette rose sous laquelle se cachent deux oisillons bleu ciel et blanc. Ils se font des bises, glougloutent et gazouillent, jusqu'à ce que nous les abritions, sous la serviette, de la lumière crue de l'ampoule nue.
Don Berna a une sorte de petit jardin, en fait un grand amas de plantes en pot, géraniums, cactus divers, yuccas et plantes grasses, auquel il prête une attention soutenue. Il a également une toute petite chienne, Mimi, qui, disons-le comme ça, est complètement frappadingue, saute partout en hurlant et en se mordant la queue. Don Berna lui a fabriqué une grande niche de bois à-côté de sa maison. Il nous parle du quartier.
La maison de sa voisine, qui comportait quatre pièces, toute en bois, a entièrement brûlé en manquant de détruire la sienne. Cela fait bientôt vingt ans qu'il habite ici, avec sa compagne Doña Hilda qui s'occupe de la cuisine à la Casa. Tous les ans, les pluies emportent une partie des maisons qui sont trop près de la route. L'année dernière, une famille a essayé de traverser le fleuve que devient la route lorsqu'il pleut. On a retrouvé les corps des deux enfants, emportés par le courant, quinze jours plus tard. En ce moment, un petit ruisseau coule au-milieu de la route - « ce sont les eaux que les gens jettent dehors, comme il n'y a pas d'égouts ici. Oh, c'est de l'eau propre, de vaisselle, de lessive... »
On repart, et... la voiture commence à grogner. Don Berna s'arrête, le tableau de bord est plein de voyants rouges. Il ne sait pas ce que ça signifie. Je lui fais remettre de l'huile dans la jauge vide, on arrête quelqu'un pour recharger la batterie – comme quoi, ça peut finalement être utile d'avoir son code. Ca tient dix mètres. Un garçon s'arrête pour nous aider, recharge la batterie encore une fois. Don Berna passe la première, la bagnole s'arrête complètement. Le muchacho part chercher un de ses amis – Mayte a peut qu'il ne veuille nous attaquer, ou je ne sais quoi. Don Berna me demande si je sais conduire. Plus ou moins. « Bon alors, voilà ce qu'on va faire. Tu prends le volant, moi je vais chercher la camionnette de la YMCA, je pousse la voiture avec et toi tu nous diriges. » Non mais ça ne va pas ?! « Mais non ! Il n'y a pas de police ici, et de toute façon, ça se règle avec des billets. » Ah, Don Berna, si vous saviez quel danger public je suis derrière un volant...
Nous allons tous ensemble chercher un ami garagiste de Don Berna, qui n'habite pas loin et qui n'est pas là. Les muchachos arrivent à trois, nous poussent avec leur voiture jusqu'à la maison de leur ami garagiste chez qui nous passons une bonne partie de la nuit – dans le noir et le froid tijuanense, à la lumière de l'ampoule qu'ils tiennent à bout de bras, distraits par des chats maigres et des chiens fous. Le garagiste semble parler de moi à son copain - « Se llama Gaby, tiene diecisiete años » - et ils se marrent en chuchotant, le muchacho me regarde en coin, mi-dragueur, mi-je me fous bien de toi. Sur ma caisse en plastique, je m'étends contre le mur et somnole. C'est long. Super long, et glacial. Si on m'avait dit que j'aurais froid à Tijuana ! Je pense aux frites du Wal Mart qui décongèlent dans le coffre. Don Berna n'en finit pas de leur demander de bricoler tout ce qui cloche – je me coucherais volontiers dans la poussière pour dormir. Finalement, le garçon nous ramène avec sa voiture, il finira celle de Don Berna demain. Doña Hilda et son amie Doña Mary s'inquiétaient. On mange, trois heures du mat', Doña Hilda engueule son époux et moi je vais me coucher.

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