mardi 27 juillet 2010

Une visite au canal

Julio, le photographe tijuanense, Mary, la volontaire canadienne a la Casa, et moi nous sommes entasses hier dans le pick-up de Julio, direction le canal de Tijuana. C'est ici que vivent beaucoup de migrants qui attendent de passer la frontiere ou qui ont ete deportes des Etats-Unis. Le canal est une sorte de grande avenue de beton clair, encadree de deux pentes tres escarpees, et de deux trois-voies rapides. Tout cela s'etend de la banlieue est de Tijuana jusqu'a la frontiere. C'est le seul espace vide qui puisse accueillir toute la population de migrants qui se retrouvent coinces a Tijuana. Au milieu coule une espece de filet d'eau saumatre, melange d'egouts et d'eau de riviere. Nous traversons la route (je vois ma vie defiler huit fois devant mes yeux), escaladons et descendons la pente jusqu'au canal. Personne en vue, le canal est vide sur des kilometres. Julio descend jusqu'a l'une de ces especes de cavites amenagees dans la pente du canal. C'est ici que s'installent la majorite des migrants. Il nous fait signe de venir, on enjambe la barriere, et on descend laborieusement la pente pour le rejoindre. Nous rencontrons Santos, qui vit ici depuis une petite semaine. Il nous serre chaleureusement la main, petit bonhomme souriant perdu dans une vieille parka Nike dix fois trop grande pour lui, mains encrassees et cheveux coupes impeccable. On discute. Il vient de Veracruz, ou il a laisse sa famille car il voulait voir quelles opportunites offrait le reste du Mexique. Il a travaille longtemps dans les champs a Ensenada (quelques km au sud de Tijuana), puis le patron a abandonne l'exploitation et les travailleurs, alors il est monte jusqu'a Tijuana. Il se retrouve a habiter ici, depuis une semaine, avec quatre autres compagnons. Dans le canal, on vit en groupe, pour pouvoir se defendre. Plus au nord, pres de la frontiere, sevissent les differentes bandes de crime organise, qui utilisent le canal comme terrain de jeux. Les dealers et les toxicomanes sont aussi la-bas. La police utilise le canal comme annexe de parking, et vient souvent faire des descentes pour avoir leur quota d'arrestations. Santos a ete arrete cinq fois, detenu cinq fois, relache cinq fois. C'est pourquoi les habitants du canal entassent les ordures en face de leurs abris, pas le choix, c'est le seul moyen de tenir la police a distance, ils ne viendront pas se salir les mains jusqu'ici.
Un homme torse nu sort de l'abri, en rampant sous la porte coulissante, attrape une peluche Titi qui doit tremper la depuis vingt ans, s'en sert comme coussin pour etre a l'aise et decouper sa mangue. Il lance la peau et le noyau sur le tas d'ordures, soupire. Vincente, toute sa famille est aux Etats-Unis, a Chicago, et il ne veut pas retablir le contact avec eux. Je ne veux pas les deranger, dit-il. Vincente a ete en prison aux USA, se mefie des flics comme du cholera. S'ils m'attrapent, dit-il, je suis bon pour perpete.
Je montre mes dessins a Santos, ca lui plait, alors on s'asseoit la ou il y a le moins de crasse, et je le dessine. Je lui montre, trop content, il se reconnait, ca lui plait, et moi aussi je suis ravie. Vincente entreprend de faire un dessin dans mon carnet. "Quelque chose de romantique, c'est plus facile", grommelle-t-il. Vingt minutes de lents traits appliques plus tard, il me tend un dessin au crayon, une rose bien kitsch avec mon prenom en-dessous, le genre de dessins que les marins se font tatouer sur le biceps. Vincente a plein de tatouages, d'ailleurs, le dos recouvert d'encre mais il ne sait plus tres bien ce que representent ces tatouages.
Demain, Santos va travailler dans un restaurant, faire la plonge, laver le sol, et s'il a de la chance, le patron lui donnera cent pesos, de quoi s'acheter quelques vivres qu'il cuisinera au bord du canal, sur un petit feu de broussailles. Il faut arriver tot, avant huit heures, tous les jours, pour avoir une chance d'avoir du boulot. Aujourd'hui, il n'y avait pas de travail. Demain peut etre. Santos a appris a se reveiller avec le soleil. Il sait quelle heure il est en regardant la position du soleil dans le ciel, pas besoin de montre.
Voici comment vivent des dizaines d'hommes et de femmes a Tijuana. Le quotidien est difficile, c'est dur de rester propre quand on vit litteralement dans les ordures, dur de garder le moral quand on pense a sa famille qui est loin, et qu'on ne sait pas si on retournera voir les siens. Alors on vit au jour le jour, tant qu'on peut, en cherchant de quoi s'alimenter et un coin pour dormir, et on remercie Dieu.
Pour leur tenir compagnie, Santos, Vincente et les autres hommes de l'abri ont un petit chat pour lequel ils ont bricole un collier avec une ficelle et une vieille noix, et aussi une chienne qui ressemble plus a une serpillere, Chiquita, qui eternue en permanence et qui aboie quand la police approche.

Jeudi, je vais accompagner Lynn et Cathie, qui m'hebergent en ce moment, jusqu'a Sonora, au bord du Golfe de Californie. Nous allons rendre visite aux Kumeeyai, une communaute indigene avec lesquels ils travaillent pour faire en sorte de developper leur artisanat.

1 commentaire:

  1. Waaah !
    Ce que tu vis là est assez hors du commun, et tu le racontes d'un belle manière. Je me sens transportée et j'aimerais connaitre tout ces gens que tu décris, les rencontrer à mon tour, observer ce milieu si loin et différent du notre.
    Que dire à part répéter que ce que tu vis est exceptionnel...!
    Je te remercie d'écrire ce blog, assez régulièrement en plus, c'est chouette d'y faire un tour et de voir comment tout ça évolue.

    :)

    RépondreSupprimer