dimanche 1 août 2010

Le bout de la route

Aujourd'hui, je suis allee a l'Instituto Madre Asunta qui accueille des femmes migrantes avec leurs enfants. Uriel avait tout arrange comme un chef, prevenant de mon arrivee a 4 heures, et demandant a Don Berna de m'emmener. Bon, il faut preciser que prevoir quoi que ce soit qui implique Don Berna de pres ou de loin, c'est s'exposer a voir ses plans voler en eclats car il attire toute la poisse du monde sur sa petite personne -mais toujours avec le sourire.
Nous sommes donc arrives a six heures, apres avoir cherche la maison de Dona Mary pour lui apporter son dejeuner, puis avoir amene les deux jeunes de la Casa jusqu'au DIF, sans penser a apporter leurs valises. Bref.
J'arrive derriere la grille de l'Institut. Accueil de porte de prison, pas un sourire - "je suis de la Casa YMCA" "et alors ?". Personne n'est au courant de mon arrivee, la Madre que j'avais rencontree lors de ma derniere visite ne me reconnait pas, mais finit par me laisser avec un groupe de femmes qui tricotent des echarpes absolument hideuses. C'est une discussion tres, tres laborieuse. Les femmes sont mefiantes, et en etre une ne semble pas m'aider du tout. Nous n'avons pas les memes conditions de vie, pas les memes defis, pas les memes barrieres a surmonter. Leurs recits ne sont pas spontanes, je crois qu'elles veulent se debarrasser de moi. Elles repondent a mes questions le plus rapidement possible, ou bien debitent une litanie qu'elles semblent avoir repete cent fois, avec un regard condescendant qui en dit long, sur combien c'est triste d'etre ici quand leurs enfants sont de l'autre cote. Envie de fondre en larmes sous le figuier, tellement je me sens en dessous de tout et incapable de les comprendre, d'avoir une relation humaine avec elles. C'est comme si nous n'etions pas de la meme planete, et c'est la premiere fois que cela m'arrive. C'est ce que j'apprehendais le plus dans ce voyage, cette separation, cette incompatibilite, et la voila, la ou je m'attendais le moins a la trouver.
Une discussion authentique tout de meme, Ana, cette femme originaire du DF qui a renonce a son ambition de passer de l'autre cote. Ana a une fille de vingt ans qui est malade, prise de convulsions. Elle a besoin d'argent pour payer son traitement et pour faire un examen complet du probleme. Alors elle esperait passer, mais elle n'a personne pour l'aider de l'autre cote, et elle est trop agee pour entreprendre la traversee par le desert, voila pourquoi, sur les conseils de tous ceux qu'elle a rencontres a Tijuana, elle a decide de renoncer et de reunir un peu d'argent, emprunter encore une fois, pour retourner aupres de sa fille.
Je sors un peu comme une voleuse, voleuse d'histoires et de portraits, fichue en l'air. On ferme la grille derriere moi. Les enfants font la course, l'un en trottinette, l'autre en fauteuil roulant. Dans la rue, il fait frais, le soleil se couche, et on est tellement mieux. A quelques metres, c'est le foyer pour hommes migrants, ils s'entassent devant la porte pour rentrer diner. Derriere eux, au bout de la rue, il n'y a rien, un vieux terrain vague et quelques arbres, une impasse. Moi, je pars par l'autre cote, en me disant que j'en ai peut etre assez vu comme ca. Mal au coeur.
Nous nous arretons sur la route, avec Don Berna, pour acheter des tamales. Le vendeur me fait un clin d'oeil tres appuye a chaque fois qu'il croise mon regard, et ne semble pas se decourager de mon air blase.
Julio m'invite a un concert ce soir - Pepe Mogt, musicien de Nortec, voila qui est prometteur. Pour ceux qui ne connaissent pas encore Nortec, ca se passe sur le petit lecteur de la colonne de droite ! Un melange detonant de musique Nortena et d'electronique, qui, je crois, donne une petite idee de l'ambiance de Tijuana. Ici, ca ne rigole pas avec l'accordeon, ni avec les mariachis.

4 commentaires:

  1. Difficile journée malgré les préparatifs qui laissaient présager la complicité d'un accueil au moins, et pourtant ...; un endroit où le visiteur doit manger sa part de dureté de la vie parce qu'il y en a pour tout le monde.
    J'espère que Pepe Mogt t'a aidé à dilué ta nausée et rendu un peu de légèreté une fois la nuit tombée. Je pense à toi très fort. Mam's

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  2. genial vraiment genial.tu sais faire partager ce que tu vis par ta tres belle prose.merci.yves.

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  3. Coucou Gaby !

    C'est toujours un vrai bonheur de te lire, et tu as l'air de faire un merveilleux voyage, en dépit des moments difficiles qui en font forcément partie !

    J'ai hâte de t'entendre raconter tout ça de vive voix ! Profite des derniers moments, fais le plein !!

    Bises de l'autre bout du monde,

    Emma

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  4. Salut !
    Teeny Carole est aux Pays Bas chez Kirsten pour une semaine (teeny parce que je me sens toute petite a coté du frere de 1m95). Premier jour de folie, je te raconterai tout ca quand on se reverra. Son frere et son pere sont aux petits oignons avec moi. Je leur parle en anglais, mais c est sympa quand son pere tente quelques mots en francais... le frere est sensé profiter de ma présence pour parler francais mais comme ca ne lui dit rien, je ne veux pas bloquer la conversation.
    Gros calins ! Je pense fort a toi ! (surtout que je suis sure que le temps gris d ici te ferait plaisir, j imagine que tu meurs de chaud)
    Teeny Carole qui est bien contente que les néerlandais savent si bien parler anglais

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