dimanche 18 juillet 2010

Jonatan & Celia

Deux rencontres inoubliables en deux jours, je suis vraiment pourrie gâtée.


Jonatan est arrivé hier soir, apres le diner, accompagné d´un agent de protection des droits de l´homme, il saignait du nez, empestait la sueur, la fatigue, la poussiere, la peur. On l´a assis en face d´une grande assiette de riz et de viande, dont il a mangé la moitié a toutes petites bouchées, silencieusement. Jonatan a tenté de passer de l´autre coté accompagné par des coyotes, qui l´ont agressé, volé, sequestré et abandonné aux mains de la police apres avoir pris le papier sur lequel il gardait le numéro de télephone de son frere. Demain apres-midi, il prend le bus pour rentrer au Michoacan, chez ses parents. Jonatan a seize ans, mais en parait vingt-cinq. Il n´a jamais pu aller a l´ecole, alors ce matin, on a pris notre courage a deux mains, on s´est assis tous les deux a la table en plastique de la cuisine, et, au milieu du bruit de la télé, du telephone, de l´odeur des tortillas de Doña Hilda, nous avons entrepris de lui apprendre a écrire son prénom. Le plus dur c´est de savoir comment l´écrire, car cela va lui rester toute sa vie. Nous avons choisi cette version, sans Y, sans H. C´est plus simple et plus mexicain. Jonatan a recopié son prenom en grandes lettres vertes, au feutre, a rempli plusieurs feuilles de papier, recto verso, puis nous avons tout caché, et il l´a ecrit avec plusieurs erreurs, alors il a rempli une autre feuille, encore une faute, il manque un A, alors il a encore rempli une feuille, laborieusement, lentement, avec enormément de volonté - tu ne veux pas te reposer un peu ? Ca fait bientot trois heures que tu travailles. - Non. Alors on a encore tout caché, et il l´a ecrit, comme ca, sans hésitation, Jonatan, avec la majuscule et les minuscules. Et je vous promets que j´ai failli verser une larme.





Celia, elle est venue me dire bonjour cet apres midi, quand je gribouillais sur le boulevard Aguascalientes - je dessinais un magasin qui disait : " Bolsiplásticos de Guadalajara", comme ca, sur une ligne, hop. Tijuana, quoi. Imaginez la secrétaire au télephone : "Bolsiplásticos de Guadalajara, buenas tardes!" Elle est venue, disais-je, on a parlé des trucs basiques - d´ou tu viens, et tu aimes Tijuana, et blablabla- puis elle est revenue me voir. Tu veux entrer boire quelque chose ? Celia est gérante d´un magasin qui brode les logos des écoles sur les uniformes. Ouais. Ils ont des machines avec douze fils differents qui brodent le truc au millimetre pres sur polos et chemisettes blanches. "Je veux t´offrir un T-shirt ou il y a écrit Tijuana" a-t-elle décidé tout de suite. J´ai fait son portrait, et elle m´a laissé la photo de sa fille pour que je la dessine. Celia vient de Nayarit, a une vie de fou qu´il serait difficile de résumer en quelques lignes. Elle n´aime pas Tijuana - a part les quelques endroits ou il y a un peu de nature. Alors on est allées admirer le coucher de soleil a la Presa, dans la banlieue, la ou toute l´eau de Tijuana est stockée - et il y a bien peu d´eau pour une si grande ville, d´ou les coupures d´eau regulieres. On se lave souvent avec l´eau froide du garrafon. Magnifique, la Presa. Les montagnes quasi-nues, et pour lui faire plaisir, je les dessine en supprimant les routes, les pylones et les fils electriques. Elle me ramene a la Casa, non sans s´arreter au bord de la route pour acheter des petites glaces a la fraise et au lait que fabrique le vendeur dans son petit magasin. Hmmiam. C´est tellement fou - et tellement naturel a la fois - cette hospitalité et cette ouverture. J´espere les ramener en France.





Playas de Tijuana, avec David - un Australien qui est venu enquêter sur la détention de mineurs migrants. En face, le Pacifique. A droite, le nouveau mémorial. Ces petites croix symbolisent tous ceux qui sont morts en tentant de traverser la frontiere.



3 commentaires:

  1. C'est magnifique de présence et de beauté toutes ces histoires que tu contes avec tant de sensibilité, que nous découvrons la multiplicité de nos vies. Je lache tout à coup mes petits problèmes matériels bidons et insignifiants pour me plonger avec passion dans le quotidien de Célia, une si belle perssonne et Jonatan qui s'empare de ce beau cadeau pour rebondir dans une nouvelle existance car qu'est-ce qui importe plus que cela ? il ne lui reste plus que son prénom pour continuer et grace à vous il s'aproprie ce qui lui appartient depuis toujours et retrouve son identité à l'endroit ou il n'aurait jamais soupsonné que cela se pu. C''est magnifique et son portrait est chargé d'une gande bonté de votre part avec le respect de sa perssonne qui lui est cher, et d'une perspicacité le concernant qui est une bonne leçon pour tous, singulière et forte. Merci de nous faire partager tes expériences de vie tellement formidable, je te félécite pour ton courage et les efforts que tu fais pour aller au dela de tes doutes, pour oser faire le bonheur de ceux qui t'entoure et leur rendre aussi généreusement la vie meilleure, comme ils le font pour toi. Je t'embrasse tendrement. Mam's

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  2. C'est un très grand bonheur que tu vis là Gaby. Tous ces gens avec qui tu essaies de partager ce que tu as tu ne pourras pas les oublier... Tu expérimentes ton coeur , et au sein de cette oeuvre vraiment magnifique, c'est le roman de ta vie qui s'inspire là, qui est l élève ?
    Sylvie

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  3. que d emotion dans ce que tu ecris si joliment.c est la decouverte de l alterite.le vovage permet cela:cette rencontre de l autre sur son essentiel.nomade?/szdentaire?Tu as l air dans ton element.continue a nous etonner.Yves

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